Le nouveau défi de Dominique de Villepin
Le nouveau défi de Dominique de Villepin
par Françoise Fressoz
Editorialiste aux Echos
L’embellie sur le front de l’emploi se poursuit. C’est a priori une bonne nouvelle pour le Premier ministre qui entame aujourd’hui sa deuxième année à Matignon. Encore faut-il que les Français lui en fassent crédit. Qu’ils acceptent de tourner la page du contrat première embauche. Car plus que l’affaire Clearstream qui reste très obscure et largement incompréhensible à leurs yeux, c’est la maladresse du Premier ministre dans sa lutte contre le chômage qui explique aujourd’hui sa situation d’extrême faiblesse politique. L’échec du contrat première embauche qu’il destinait aux jeunes a non seulement marqué la fin de son ascension politique, mais elle l’a aussi précipité dans des abîmes dont il lui reste très peu de temps pour sortir.
Pourquoi cet échec ? Où s’est situé le grain de sable ? Le comprendre, c’est évaluer la marge de manoeuvre qui reste au Premier ministre pour tenter de rebondir. Pour les uns, comme Nicolas Sarkozy, l’erreur tient d’abord au timing : on ne mène pas des réformes dérangeantes en fin de mandat. Pour agir vite et fort, il faut pouvoir s’appuyer sur le souffle et la légitimité que donne une élection présidentielle. Quand on regarde l’histoire de la Ve République, la remarque est juste : Maurice Couve de Murville, Pierre Messmer et Pierre Bérégovoy ont en commun d’avoir vécu trois fins de règne : gaullien, pompidolien, mitterrandien. Ces trois Premiers ministres, par ailleurs grands serviteurs de l’Etat, se sont bien gardés d’agiter le pays par des réformes audacieuses. Ils étaient là pour apaiser les tensions et rassurer le président. Dans cette galerie de portraits, le profil de Dominique de Villepin est complètement atypique : lui bouscule au lieu de rassurer. Il trouble la fin du règne chiraquien au lieu de le lisser. S’il parvient à se maintenir à son poste jusqu’au bout, ce sera une forme d’exploit.
Mais la règle des fins de règne est-elle si implacable que cela ? Avant d’échouer sur le CPE, Dominique de Villepin avait réussi à faire passer deux autres réformes : le contrat nouvelles embauches qui est une forme de déréglementation du Code du travail limitée aux toutes petites entreprises et le bouclier fiscal qui est une façon efficace de plafonner l’impôt des hauts revenus et des gros patrimoines. C’est en s’appuyant sur ces deux réformes qu’il était parvenu à se fabriquer une popularité. Rien ne le condamnait forcément à l’échec. A moins de commettre une erreur d’appréciation, un péché d’orgueil en quelque sorte.
Lorsque l’on compare le contrat nouvelles embauches, qui a été un succès, et le contrat première embauche, qui a été un échec, on s’aperçoit que la grande différence tient à ceci : le CNE collait parfaitement à la demande, alors que le CPE n’y répondait pas du tout. Dans le premier cas, le Premier ministre avait mis six mois pour mettre au point le nouveau contrat : alors qu’il était encore ministre de l’Intérieur, Dominique de Villepin avait fait travailler toute une équipe d’experts, des experts-comptables notamment qui connaissaient très bien le terrain et les attentes de leurs clients. Une fois nommé à Matignon, il a fait voter très rapidement le CNE, par voie d’ordonnance, en passant outre les réticences des syndicats. Mais sans avoir négligé la phase essentielle d’expertise qui s’était déroulée dans le plus grand secret.
S’agissant du CPE, le Premier ministre a travaillé d’une tout autre façon : il a mis au point le nouveau contrat dans l’urgence - quelques semaines à peine - ; il l’a fabriqué dans le huis clos de Matignon - quelques conseillers seulement - et il ne s’est pas embarrassé d’avis extérieurs - la plupart de ses ministres étaient réticents pour ne pas dire hostiles. Il est passé outre l’avis très négatif des partenaires sociaux qui n’ont été consultés qu’à la toute dernière minute. Et il a agi pour des motifs beaucoup plus politiques qu’économiques : enivré par ses succès précédents, il pensait qu’il pourrait rester dans l’histoire comme le Premier ministre qui avait osé s’attaquer au tabou du chômage des jeunes (un taux de près de 25 % !) tout en se démarquant de son grand rival Nicolas Sarkozy qui, lui, prônait une mesure à la fois plus générale et plus radicale : la création d’un contrat de travail unique, flexible au cours des premiers mois, plus protecteur à la fin. En découvrant le CPE, le Medef, qui aurait dû en être le principal utilisateur, a tordu le nez : un contrat spécifique pour les jeunes ? Symboliquement risqué et économiquement mal adapté à la réalité. Car les jeunes diplômés n’ont pas vraiment de problème d’intégration sur le marché du travail : 71 % d’entre eux trouvent un CDI dans les dix-huit mois. Ceux qui éprouvent de vraies difficultés d’insertion sont les non-qualifiés qu’il faut aider pratiquement au cas par cas. Alors non, décidément, le CPE ne fait pas l’affaire. Mal expertisée, la réforme était d’emblée très mal partie et elle s’est de fait très mal terminée : un retrait en rase campagne après deux mois d’un véritable psychodrame politique et social au cours duquel Dominique de Villepin a perdu, les uns après les autres, tous ses appuis.
Dans l’épopée villepiniste, le CPE restera comme le symbole de toutes les erreurs à éviter lorsqu’on est Premier ministre : décider seul, monter en première ligne au lieu de laisser les ministres jouer le rôle de bouclier, fragiliser le président de la République au lieu de le protéger. Beaucoup, dans la majorité, y ont vu un péché d’orgueil, le signe que le Premier ministre n’était pas entré à Matignon seulement pour gouverner et améliorer le bilan chiraquien, mais aussi pour se fabriquer un destin présidentiel et tenter sa chance en 2007. Pari improbable : d’autres Premiers ministres avant lui s’y étaient essayés : Rocard, Balladur, Jospin, et tous s’y étaient brûlé les ailes. Mais pari pris au sérieux par le grand rival Nicolas Sarkozy qui, bousculé dans son rôle de prince consort, n’a eu de cesse de secouer le cocotier pour faire tomber l’impudent rival : avec quel art le président de l’UMP a contraint le Premier ministre à lâcher le CPE, comme il avait déjà poussé Alain Juppé onze ans plus tôt à abandonner la réforme des régimes spéciaux des retraites : « Tu as eu raison d’abandonner. On ne se ridiculise pas en prenant en compte les situations. Il fallait le faire », lui avait-il lancé plein de commisération.
La grande fragilité de Dominique de Villepin est là : il est seul, désespérément seul. Sa survie est liée à trois bons vouloirs : celui du président de la République qui, moins d’un an avant la fin de son mandat, aspire à bonifier le bilan ; celui du président de l’UMP qui veut pouvoir mener campagne sereinement ; et celui de la majorité qui, le « trouillomètre à zéro » comme disait naguère Dominique de Villepin, lors de la dissolution de 1997, redoute toute nouvelle initiative intempestive qui risquerait de lui faire perdre les prochaines législatives. Autant dire que le Premier ministre est sous étroite surveillance. Son sort, contrairement à ce que certains prétendent, n’est pas scellé : l’affaire Clearstream, qui devait signer sa perte, le protège : à ce jour, rien n’est prouvé dans cette obscure histoire de faux comptes destinés à compromettre un certain nombre d’hommes politiques. Dominique de Villepin en profite pour contre-attaquer, refaire du terrain et regagner quelque faveur dans l’opinion. Mais le Premier ministre le sait : sa survie à Matignon dépend de sa soumission. Le Villepin de l’an I était épique et flamboyant, celui de l’an II se doit d’être apaisant et couleur muraille. Un sacré défi.
Sources : Les Echos
Posté par Adriana Evangelizt