La stratégie médiatique de Sarkozy finira par avoir un coût politique

Publié le par Adriana EVANGELIZT

Très intéressantes les réponses de Jean-Louis Missika...

 

 

 

Jean-Louis Missika :
"La stratégie médiatique de Nicolas Sarkozy finira
par avoir un coût politique"


 

L'intégralité du débat avec Jean-Louis Missika, enseignant en communication politique à l'Institut d'études politiques de Paris, mercredi 05 septembre 2007

oliteia : La communication médiatique du paraître de M. Sarkozy marque-t-elle une conception nouvelle du métier de politicien ?

 

Jean-Louis Missika : La nouveauté n'est pas dans le paraître, parce que la politique, dans les démocraties, passe par un dialogue permanent entre gouvernants et gouvernés, notamment pendant les campagnes électorales par un travail de séduction et de conviction des candidats auprès des électeurs.  Donc le paraître est consubstantiel à la politique. Mais Nicolas Sarkozy a poussé à son paroxysme cet usage des médias pour en faire un de ses principaux instruments de gouvernement.


Maxitof : La stratégie de Nicolas Sarkozy ne s'apparenterait-elle pas plus à du marketing politique qu'à de la communication politique ?

Jean-Louis Missika : C'est subtil, comme distinction. Marketing et communication dans l'entreprise ont toujours été liés. Le marketing politique fait référence à l'idée que la sphère politique est un marché dans lequel il y a des consommateurs de politique qui peuvent être analysés par cible et par catégorie, pour lesquels on va fabriquer des produits et une communication politique adaptés. Comme je viens de le dire, Nicolas Sarkozy a tendance à pousser à son extrême cette conception de la politique. Il n'empêche que la politique ne se réduit pas à ça et qu'à trop vouloir la faire entrer dans ce cadre, on peut avoir de mauvaises surprises.

gaetan : Selon vous, Nicolas Sarkozy peut-il tenir la distance ? Continuer à surenchérir en communiquant et en se montrant toujours plus ? Peut-on prévoir un revers de médaille prochain ?

Jean-Louis Missika : Il est clair qu'il ne pourra pas non seulement tenir ce rythme, mais surtout bénéficier durablement de l'effet de nouveauté qu'ont provoqué sa conception du rôle présidentiel et cette surmédiatisation. Il y a bien sûr un revers évident à la saturation médiatique, c'est l'usure de l'image et de la parole, la banalisation de la parole, et le risque de se contredire. On voit très bien qu'il sera plus difficile à Nicolas Sarkozy, s'il y a un deuxième acte pédophile qui se produit en France et qui émeut les Français, de tenir une position médiatique et un discours semblables à ceux qu'il vient de tenir dans l'affaire du petit Enis.

Isabelle : A raison d'une intervention ou d'une proposition tous les jours, sur tous les sujets, n'y a-t-il pas un risque que rien ne reste au final des messages ?

Jean-Louis Missika : Nicolas Sarkozy est un homme politique intelligent, il a pesé les risques de sa stratégie médiatique. Je pense que le raisonnement qui sous-tend sa démarche est le suivant : aujourd'hui, l'événement, l'actualité, écrase tout le reste. Si un homme politique veut exister médiatiquement, il doit en permanence surfer sur l'événement et l'actualité. Un bon exemple est la lettre qu'il a envoyée à Angela Merkel à propos de la crise du "subprime" et de la nécessaire transparence des marchés financiers. Il a envoyé cette lettre dans un timing médiatique excellent, au sommet de la couverture médiatique de la crise. Du coup, il a été repris dans tous les médias, non seulement français, mais internationaux. Mais il a beaucoup irrité Mme Merkel parce que celle-ci avait mis le sujet à l'ordre du jour du G8 plusieurs mois auparavant, et a eu le sentiment que l'on se moquait d'elle. Nicolas Sarkozy est un "voleur de lumière" et il irrite aussi bien son premier ministre que la chancelière allemande. Et cela finira par avoir un coût politique.

arno50 : Le danger de répondre par une intervention médiatique à chaque fait divers n'est-il pas de se faire dicter sa politique par les médias ?

Jean-Louis Missika : A mon sens, il ne se fait absolument pas dicter sa politique par les médias, il se sert de l'actualité pour "dialoguer" avec les Français, montrer qu'il est sensible à leurs émotions et qu'il les partage. C'est ce que j'ai appelé avec d'autres la politique compassionnelle. Les médias, en l'occurrence, sont instrumentalisés, ils ne dictent rien du tout.

nelson : Est-ce que, à travers le monde, dans une démocratie, il y a un exemple similaire à Nicolas Sarkozy ? Un leader aussi dynamique, aussi omniprésent, qui veut être présent sur tous les fronts à la fois ? Combien de temps cela peut durer avant une "overdose" Sarkozy, avant que la popularité du personnage ne se retourne contre lui ?

Jean-Louis Missika : Le meilleur exemple à mon sens est Tony Blair, qui, lors de son premier mandat, a été omniprésent dans les médias. On se souvient par exemple du rôle qu'il a joué lors de la mort de la princesse Diana. Le film de Stephen Frears en a donné une lecture très intéressante. On voit d'ailleurs là un exemple typique de la politique compassionnelle, c'est-à-dire que Tony Blair avait compris, contrairement à la famille royale, la charge émotionnelle qu'a provoquée cette mort sur l'opinion publique anglaise, et a cherché à trouver le ton juste pour y répondre et s'en faire l'écho. La différence essentielle est que Tony Blair n'a jamais eu tous les pouvoirs comme Nicolas Sarkozy. Il avait en face de lui Gordon Brown dans son propre camp, dont on ne voit pas l'équivalent en France. Il y a deux manières de tirer des enseignements de l'exemple Blair : soit se focaliser sur ses trois réélections, soit examiner sa cote de popularité au moment où il a quitté le pouvoir. Cette cote était mauvaise et son conflit avec les médias anglais était d'une violence inouïe. Il les a même traités de "bêtes sauvages".

vinc : La technique de communication de Nicolas Sarkozy peut-elle être comparée à celle de M. Berlusconi, qui avait toujours son mot à dire sur tout ?

Jean-Louis Missika : La comparaison Sarkozy-Berlusconi me paraît moins pertinente que celle entre Sarkozy et Blair. Silvio Berlusconi est un cas exceptionnel d'un magnat des médias qui conquiert le poste de premier ministre tout en continuant à contrôler et gouverner son empire médiatique. Dans le cas de Nicolas Sarkozy, pas de contrôle direct, mais des "amitiés", un peu comme on a parlé de l'amitié entre Blair et Murdoch. En revanche, je ne comparerai pas la façon de Berlusconi de commenter l'actualité sans nécessairement vouloir apparaître comme un homme d'action qui veut changer cette actualité, avec celle de Sarkozy qui, lui, intervient sur un événement, notamment un fait divers, a tendance à présenter des mesures d'urgence et un plan d'action.

Maxitof : La perception de Nicolas Sarkozy à l'étranger est différente de ce qu'elle est en France. Est-ce qu'on peut dire que les médias français sont incapables d'avoir du recul sur les discours et les sujets politiques du moment ?

Jean-Louis Missika : D'abord, la perception de Sarkozy dans les médias étrangers est très contrastée. Il a été très critiqué en Allemagne et dans quelques autres pays européens pour son "cavalier seul" en Libye. La presse économique européenne se méfie de son discours anti-Banque centrale européenne et de son étatisme plus que de son libéralisme. Les journaux américains sont encore sous le charme. Quant à la presse française, elle est tiraillée entre plusieurs problèmes : d'abord, le rythme infernal des apparitions médiatiques et des sujets traités par Nicolas Sarkozy. Comment, par exemple, parler durablement de la crise de la Sécurité sociale ou de la compétitivité de la France lorsqu'il publie une lettre à 800 000 enseignants ? Ensuite, il y a la prolongation de l'état de grâce. L'opinion publique française est encore largement favorablement disposée à l'égard de Nicolas Sarkozy. Enfin, il y a la difficulté à trouver le bon angle d'attaque, à trouver la piste critique qui va faire sens et montrer une des failles du système.

Fantasio : Aux Etats-Unis, le président communique bien plus que les présidents français jusqu'à présent. Les journalistes français ne se posent pas la question de "trop de communication" dans le cas des Etats-Unis. Nicolas Sarkozy, dans son style, ne se rapproche-t-il pas tout simplement de cela ? Le problème n'est-il pas plus institutionnel que sur l'efficacité de la communication de Nicolas Sarkozy ?

Jean-Louis Missika : Oui, le problème est institutionnel. La France n'est pas dans un modèle de Constitution semblable à celui des Etats-Unis, où les contre-pouvoirs se situent du côté de l'appareil judiciaire et législatif. En France, par exemple, le temps de parole du président de la République n'est pas compté dans celui de la majorité par le CSA pour calculer l'équilibre des temps de parole en période non électorale. La voix du président de la République est considérée comme au-dessus de celle de la majorité et de l'opposition, et n'est donc pas décomptée de façon partisane. Mais qu'advient-il lorsque le président de la République est aussi un super-premier ministre qui prend parti, polémique avec l'opposition et présente les décisions gouvernementales ? En outre, dans le système américain, sauf dans une période d'exception comme celle d'après le 11-Septembre, les médias ont suffisamment de puissance et de pouvoir pour négocier l'agenda politique avec le président et le Sénat. A mon sens, ce n'est pas le cas en France.

alex : Que penser de la réforme constitutionnelle désirée par Nicolas Sarkozy visant à lui permettre de pénétrer dans l'Hémicycle pour "communiquer" directement avec l'Assemblée ? M. Sarkozy y voit là le ressort d'une meilleure interaction entre le législatif et l'exécutif. Mais n'y a-t-il pas un risque que ses interventions viennent court-circuiter l'activité parlementaire ?

Jean-Louis Missika : Il est clair que cette réforme irait dans le sens d'une présidentialisation du régime. Le risque, bien sûr, est que cette présidentialisation ne se traduise pas par un renforcement des pouvoirs du Parlement et de sa capacité à négocier l'agenda politique avec le président, à enquêter sur l'exécutif et à être indépendant de celui-ci. Il me semble, par exemple, que cette présidentialisation devrait nécessairement passer par une suppression du pouvoir de dissolution de l'Assemblée par le président.

stephane93 : Je ne vois pas vraiment en quoi la façon de faire de Nicolas Sarkozy est si nouvelle. De Gaulle avait déjà cette vision du chef de l'Etat qui décide et dirige au premier plan. Quant à la communication, on a bien eu Giscard et ses parties de foot, son accordéon, ses petits déjeuners avec les éboueurs ou ses repas à domicile chez les Français.

Jean-Louis Missika : Je partage partiellement votre point de vue. Il est clair que Nicolas Sarkozy n'a pas inventé la communication politique, la recherche de la proximité, ni même l'exercice solitaire du pouvoir. Simplement les temps ont changé, nous vivons une période de "pipolisation" de la politique, une période où les états d'âme du dirigeant deviennent non seulement une matière première pour la presse people, mais également un fait politique en tant que tel.  Et bien sûr une période où l'identification partisane des citoyens a tendance à s'affaiblir pour une conception plus consumériste et plus individuelle de la relation du citoyen au pouvoir. C'est dans ce contexte-là qu'il faut analyser la stratégie médiatique de Nicolas Sarkozy. Les visites impromptues de Giscard d'Estaing chez les Français moyens ont fait long feu. Il s'est ensuite enfermé dans une conception beaucoup plus aristocratique, voire monarchique, de la fonction présidentielle. Nous verrons si Nicolas Sarkozy suit la même trajectoire.

savonarole : On reproche à la communication de M. Sarkozy de ne demeurer que communication, mais ne constitue-t-elle pas paradoxalement un acte politique ? Elle force les autres à se positionner, à réagir, donc à alimenter le débat démocratique.

Jean-Louis Missika : Je partage ce point de vue depuis très longtemps. Je n'ai jamais considéré qu'il y avait d'un côté la communication et de l'autre l'action politique. L'action politique étant propre et la communication sale. En politique, communiquer, c'est agir, et agir, c'est communiquer. Quand Nicolas Sarkozy adresse une lettre à tous les enseignants pour définir sa conception de l'école, il pose un acte politique qui est aussi un acte de communication. Et cet acte de communication a des effets politiques. On l'a bien vu en lisant la presse ce matin : réactions des syndicats, des partis d'opposition, des enseignants eux-mêmes. Un débat est lancé. Je dirai simplement que sa manière de communiquer illustre assez bien ce qu'on pourrait appeler la préférence française pour l'idéologie. Sa lettre est plus idéologique que pragmatique, et les réponses des autres acteurs ont tendance à se situer elles aussi sur le plan de l'idéologie.

yves : On n'imagine pas M. Sarkozy seul ayant l'initiative de toutes ces communications. Comment s'organise au quotidien cette communication ? Y a-t-il un staff dédié, comment est-il structuré ? Qui propose des communications ? Qui décide ? Y a-t-il un plan de com' établi ?

Jean-Louis Missika : Je ne suis pas un spécialiste de l'entourage proche de Nicolas Sarkozy. Bien évidemment, il y a des gens qui écrivent des discours. Le livre de Yasmina Reza montre très bien, par exemple, la relation entre Henri Guaino et Nicolas Sarkozy. Il y a des gens qui suggèrent des interventions. Mais on sait aussi que Nicolas Sarkozy se fie beaucoup à son instinct. Il a dit à plusieurs reprises que sa principale mission était de réagir aux événements comme l'ensemble des Français. Pendant la campagne et après la campagne, il est obsédé par l'idée de refléter le nuancier de toutes les émotions que peuvent éprouver les Français en prenant connaissance de l'actualité.
Est-ce là la tâche d'un président de la République ? C'est toute la question.

stephane93 : La communication du président Sarkozy ne ressemble-t-elle pas à celle du candidat Sarkozy ?

Jean-Louis Missika : Absolument. On a parfois l'impression que la campagne électorale ne s'est pas arrêtée le 6 mai. La façon qu'il a de s'emparer des dossiers et de promettre le changement ressemble à s'y méprendre à ce qu'il avait fait pendant sa campagne.  De la même façon, le rythme médiatique qu'il impose est plus un rythme de conquête du pouvoir que d'exercice du pouvoir. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle tout le monde s'interroge sur les risques d'essoufflement de celui qui parle et de lassitude de ceux qui écoutent.

Garibaldo : Depuis peu, on voit un Nicolas Sarkozy qui communique plus sur l'idéologie (Lettre aux éducateurs, discours du Medef) que sur les propositions concrètes. Est-ce, selon vous, un revirement ?

Jean-Louis Missika : Ce n'est pas un revirement, c'est pour moi une nécessité politique. Lorsque vous avez fait un paquet fiscal de 15 milliards d'euros, il est difficile d'en faire un autre instantanément... Au Medef, il a tenté de répondre aux critiques de ceux qui disaient qu'il faisait une politique de la demande alors que le problème de la France était celui de la compétitivité internationale. Mais il n'avait pas grand-chose à offrir en termes de mesures concrètes, et donc il a replacé le débat sur le plan idéologique. Quant à la lettre sur l'éducation, elle manifeste bien ce qu'est la pensée de Nicolas Sarkozy. Il est convaincu que le volontarisme politique, que la faculté d'impulsion d'une parole forte peut avoir des effets aussi importants, voire plus importants, qu'un ensemble de mesures composant une réforme classique de l'éducation nationale. De la même façon, son discours sur la confiance économique des Français qui va permettre de respecter la prévision de croissance relève de ce volontarisme politique. Le risque qu'il prend est majeur car là, la réalité des faits donnera une réponse assez rapide à cette conception de la toute-puissance de la volonté politique.

momo : Ne risque-t-il pas d'asphyxier son gouvernement ?

Jean-Louis Missika : En tout cas, il semble que François Fillon manque d'oxygène, puisqu'il a tenu à préciser, à juste titre, qu'il n'était pas un collaborateur du président, mais un homme politique à part entière. Et l'on voit bien que la dualité de pouvoir entre M. Guéant, secrétaire général de l'Elysée, et M. Fillon, premier ministre, pose un problème de gouvernance malgré la souplesse des institutions de la Ve République.

stephane93 : Pourra-t-il tenir ce rythme effréné et ce style si dans quelques mois les résultats ne sont pas au rendez vous ? Ou au contraire les difficultés pourraient-elles l'inciter à se préserver davantage en utilisant enfin son premier ministre ?

Jean-Louis Missika : Il aura du mal à utiliser son premier ministre comme fusible dans la configuration que nous connaissons aujourd'hui. Il est clair qu'il a choisi délibérément d'être en première ligne, et donc de n'être pas protégé vis-à-vis de l'opinion publique ni par ses ministres, ni par son premier ministre. Effectivement, il y aura une heure de vérité, qui se jouera sans doute sur le plan économique et financier. Nicolas Sarkozy est un acrobate, il trouvera peut-être une réponse au problème pour conserver sa popularité et son dynamisme, ou alors il sera confronté à une difficulté majeure, et la question de l'individuel et du collectif dans l'exercice du pouvoir se posera de façon criante.

yan : L'omniprésence du président n'est-elle pas causée par le manque de discernement des médias ?

Jean-Louis Missika : La question est : quels médias ? La "une" du Figaro de ce matin, qui semble tracer un parallèle entre Jules Ferry et Nicolas Sarkozy, peut prêter à sourire. Il y a aussi des journaux très critiques, comme Marianne ou Libération, et des journaux qui cherchent à maintenir une distance, comme Le Monde ou Le Nouvel Observateur. Dans le domaine de la télévision, les choses sont plus compliquées, parce qu'ils sont asphyxiés par les propositions de sujets et de thèmes émanant de l'Elysée et ils courent après la locomotive Sarkozy. Pour caricaturer le trait, je dirais qu'on se demande parfois qui présente le journal télévisé : Nicolas Sarkozy ou Patrick Poivre d'Arvor ?



Sources Le Monde

Posté par Adriana Evangelizt

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