L'IMPRECATEUR MALAPRIS

Publié le par Adriana EVANGELIZT

L'IMPRECATEUR MALAPRIS

par Jacques JULLIARD

En ridiculisant le chef de l'Etat, Nicolas Sarkozy a choqué. Et le personnage d'agité vindicatif dans lequel il est entré risque de se retourner contre lui

L'imprécateur malappris

Il y a désormais quelque chose d'irrationnel dans la guérilla quotidienne que mène Nicolas Sarkozy contre Jacques Chirac. Jusqu'au 29 mai, il s'agissait pour lui d'éliminer son principal concurrent à la candidature de droite pour l'élection présidentielle de 2007. Soit. Cela se pouvait concevoir. Mais depuis le non au référendum, il est à peu près assuré que Jacques Chirac ne pourra plus être à nouveau candidat. Du coup, la guerre contre Chirac s'est muée en harcèlement permanent contre le président et même contre la présidence elle-même. Dernier épisode: la garden-party au ministère de l'Intérieur le 14-Juillet, la contre-conférence de presse tenue à l'heure même où le président s'adressait aux Français. C'est trop. C'est de l'hybris; même un opposant aussi résolu que Henri Emmanuelli en a été choqué.


Il n'est nul besoin de s'acharner sur nos institutions quand les événements se chargent de les démolir. Au surplus, il n'est peut-être pas très malin de ridiculiser, chaque jour que Dieu fait, la fonction à laquelle on aspire. Enfin, il y a quelque imprudence tactique de la part de Sarkozy à vouloir abattre Chirac trop tôt, et qui sait? l'acculer à la démission. Seule en effet la présence de Chirac lui assure son statut de candidat d'alternance. La petite alternance, s'entend, la grande étant le retour de la gauche au pouvoir. Or à chaque élection les Français, déboussolés et quelque peu désabusés, jouent à tout hasard la carte de l'alternance, en pensant qu'ils n'ont rien à y perdre. C'est ainsi que, comme l'attestent tous les sondages, ils souhaitent aujourd'hui le retour de la gauche. Dans l'hypothèse où Chirac serait trop tôt mis hors jeu, Sarkozy deviendrait le candidat non du changement, mais de la continuité: mauvais calcul.


L'irrépressible ministre de l'Intérieur n'a aujourd'hui que deux adversaires: sa popularité et sa faconde. Une popularité excessive est aux hommes politiques ce qu'une extrême beauté est à certaines femmes: un gage de malheur. Baudelaire avait prévenu que «c'est un dur métier que d'être belle fem-me»... Beaucoup, à force d'être désirées, n'y survivent pas, de Martine Carol à Marilyn Monroe. De même, en politique, l'emballement de l'opinion en a emporté plus d'un, de Messier à Tapie jusqu'à Balladur. Une popularité sans cause devient vite un motif de suspicion. Que Sarkozy se méfie: la politique a besoin d'hommes d'Etat, le cas échéant de grands hommes, non de stars ou de poupées médiatiques. Quant à sa faconde, qui fait de lui une sorte de Zazie de Beauvau, elle peut lui jouer de mauvais tours. Comparer Chirac à Louis XVI, comme il vient de le faire, n'était franchement pas de bon goût. Certes, l'opinion apprécie les imprécateurs; pour autant, elle ne les destine pas aux plus hautes charges. Si Sarkozy aspire au statut de Montebourg de la droite, il n'a qu'à continuer dans cette voie.


Pendant ce temps-là, Dominique de Villepin marque des points. «Il ne bouge pas, et pourtant je m'aperçois qu'il chemine», disait Louis XVIII de son frère le comte d'Artois. Les Français sont reconnaissants à un homme regardé comme un prince du verbe de se conduire à Matignon avec mesure et sobriété. C'est d'un vrai politique. Naturellement, cela ne suffit pas. Si rien ne se passe sur le front du chômage, la bonne image du Premier ministre n'aura été qu'un déjeuner de soleil. Si au contraire la chance vient à la rescousse de sa stratégie, alors tout deviendra possible. L'effacement progressif de Jacques Chirac fait aujourd'hui de Dominique de Villepin l'héritier présomptif de la famille gaulliste. Celle-ci n'est pas dans une passe favorable, mais n'importe: les grandes familles ne meurent jamais.


Voilà donc Sarkozy à la merci d'un accident de parcours. La force de rechange de la droite, qui est apparue longtemps comme une force tranquille, est en train de se muer en un personnage agité, impulsif, vindicatif. La cote de popularité immédiate reste à son zénith; mais la cote d'alerte à moyen terme est atteinte. Certes, Nicolas Sarkozy dispose sur tous ses concurrents potentiels d'une arme redoutable, unique: la maîtrise de l'appareil UMP. Mais l'avenir de la droite, que l'on croyait écrit, a recommencé à bégayer.

Sources : LE NOUVEL OBSERVATEUR

Posté par Adriana Evangelizt

Publié dans Nicolas Sarkozy

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