Les complexités du Sarkozy nouveau

Publié le par Adriana EVANGELIZT

Les complexités du Sarkozy nouveau

par Françoise Fressoz

Editorialiste aux Echos

Son Blog

 

En politique, rien n’est jamais simple. Prenez le cas de Nicolas Sarkozy. En un an, son horizon s’est beaucoup dégagé. Le président de l’UMP n’a même plus besoin de ferrailler contre Jacques Chirac pour s’imposer comme le candidat de son camp : tous les autres prétendants sérieux paraissent hors champ. Alain Juppé s’apprête certes à rentrer de son exil québécois mais pour lui, la reconquête passe d’abord par Bordeaux. Quant à Dominique de Villepin, la crise du contrat première embauche lui a mangé toute sa popularité. Le Premier ministre en a récemment pris acte en déclarant qu’il « n’avait pas d’ambition présidentielle » et que « le partage des rôles » entre Nicolas Sarkozy et lui « était fait depuis plus de deux ans ». Façon de reconnaître que lui disputer l’investiture en janvier prochain n’aurait pas beaucoup de sens alors qu’au sein même du gouvernement les ralliements au président de l’UMP se multiplient.

Curieusement, c’est au moment où le chemin se dégage pour Nicolas Sarkozy que son message se complexifie. Le discours qu’il a prononcé le 22 juin dernier à Agen continue, trois semaines après, à semer le trouble dans ses propres rangs : les doutes qu’il a exprimés sur l’euro fort, ses appels à desserrer le carcan monétaire, son raisonnement consistant à dire que « ce n’est pas le déficit qui crée le chômage mais le chômage qui creuse le déficit », ses affirmations selon lesquelles « si la dette publique doit être remboursée, ce ne peut être que par la croissance et certainement pas par la diminution du pouvoir d’achat », tous ces raisonnements ont surpris les libéraux de l’UMP. Et Edouard Balladur a pris la plume pour exprimer dans « Le Monde » en termes certes très châtiés mais non moins fermes le trouble dans lequel l’avait plongé la résurgence du débat sur « l’autre politique », qu’il croyait pourtant avoir tranché de longue date avec son disciple Nicolas Sarkozy. « Il y a des années, certains avaient fait l’apologie du déficit budgétaire, remède miracle pour relancer notre économie, de la faiblesse de la monnaie, indispensable au soutien de nos exportations, de la baisse des taux d’intérêt, garantie d’un investissement accru et d’une productivité meilleure, on a vu ce qu’il en est advenu », souligne l’ancien Premier ministre (1), qui appelle à laisser l’autre politique « au vestiaire des idées mortes ».

C’est dans ce contexte que sort le nouveau livre de Nicolas Sarkozy (2). Il tombe à point nommé pour préciser une doctrine et lever quelques interrogations. Que le président de l’UMP soit en quête d’une synthèse, c’est évident. Le prétendant à l’Elysée qui s’était distingué en prônant la rupture cherche désormais le grand rassemblement « des libéraux, des gaullistes, des centristes, des européens, des souverainistes », comme l’avait fait, avant lui, Jacques Chirac. Il veut se démarquer de l’image, peu porteuse en France, du libéral à tout crin vers lequel ses convictions auraient tendance à le porter pour devenir le défenseur d’un « libéralisme régulé ». En ce sens, il ressemble beaucoup à son prédécesseur Alain Juppé qui avait tenté de combiner les valeurs de responsabilité individuelle, de mérite, de concurrence avec l’héritage égalitariste et étatiste qui caractérise la France. Par rapport à lui, son originalité consiste à forcer le trait mais dans les deux sens. Il est à la fois plus libéral lorsqu’il prône par exemple une remise à plat du système fiscal qui consisterait à alléger la fiscalité sur les entreprises, à réduire le coût du travail, à regrouper la fiscalité directe des ménages dans un seul impôt, à transformer l’impôt sur la fortune en une tranche additionnelle de l’impôt sur le revenu ou à supprimer la quasi-totalité des droits de succession. Avec un leitmotiv : encourager la réussite.

Mais il est en même temps plus interventionniste lorsqu’il revendique haut et fort les fortes pressions qu’il a exercées lorsqu’il était à Bercy pour obtenir une baisse des prix dans la grande distribution ou les démarches qu’il a entreprises à Bruxelles pour sauver Alstom. « La première mission d’un homme politique est de redonner espoir en démontrant qu’il est possible de peser sur le cours des événements », écrit-il. Le volontarisme qu’il érige en vertu politique cardinale prend alors le pas sur le libéralisme.

Sur le plan social, Nicolas Sarkozy a incontestablement mis de l’eau dans son vin depuis la crise du CPE. Il parle toujours d’un modèle à bout de souffle mais n’évoque plus la création du contrat de travail unique, dont les droits se renforceraient au fur et à mesure que le contrat s’allongerait. Pour un homme qui plaide pour une campagne électorale vérité fondée sur quelques propositions concrètes et précises, il y a là une prudence qui dénote une certaine inquiétude : la réforme du modèle social n’est pas dénuée de risques politiques, dans un match gauche-droite qui s’annonce très serré.

Nicolas Sarkozy est-il rigoureux ou laxiste ? C’est l’autre grande question et là encore la réponse est nuancée. Sur la dette (1.100 milliards d’euros) il tient des propos très clairs : « Ce serait une idée folle de croire que la France peut continuer à s’endetter sans risque... Je ne fais pas de l’endettement et de sa réduction un dogme, juste une question de bon sens et de respect pour les générations à venir », écrit-il. Pour maîtriser la dérive des déficits sociaux, il avance une idée : s’il y a déficit, la loi de financement de la Sécurité sociale de l’année suivante devra obligatoirement prévoir une augmentation des cotisations ou de la CSG ou une hausse des différents forfaits et franchises pour l’éponger. En cas d’excédent, la règle inverse prévaudrait. Mais, en même temps, le président de l’UMP souligne qu’avant de rapporter la réforme de l’Etat coûtera cher. Il juge urgent d’accroître les moyens alloués à l’enseignement supérieur et à la recherche. Il se prononce pour un maintien des dépenses en faveur de l’éducation nationale (l’un des budgets les plus dévoreurs de crédits) et pour une augmentation des salaires des enseignants qui acceptent de travailler plus et il ne paraît pas décidé à tailler dans le budget militaire : « Je n’ai jamais contesté la nécessité d’investir dans notre défense. » Du coup, on ne voit pas très bien à court terme où seront les économies. Et comme le président de l’UMP fait de la relance du pouvoir d’achat sa grande priorité, on l’imagine mal augmenter les prélèvements pour financer les dépenses nouvelles qu’il prévoit. « Seule la croissance peut nous tirer d’affaire », reconnaît-il. Il est à cet égard très proche des socialistes, qui viennent de boucler leur projet et qui eux aussi refusent de s’enfermer dans la rigueur, préférant s’en remettre à la fée croissance pour boucler leur plan de financement.

Le problème, c’est qu’à ce stade ni Nicolas Sarkozy ni les socialistes ne disent clairement sur quel levier ils joueront - la consommation ou l’investissement - pour stimuler cette croissance. Il reste encore, il est vrai, dix mois de campagne, le temps de préciser, pour les uns et les autres, leurs intentions.

(1) "Le Monde" daté du 6 juillet 2006.
(2) "Témoignage", XO éditions.

Sources : Le blog de François Fressoz

Publié dans Nicolas Sarkozy

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