Conjuration secrète

Publié le par Adriana EVANGELIZT

Un article de Jeune Afrique qui parle d'un extrait particulier du livre de Valéry Giscard d'Estaing et les commentaires qui vont avec bien sûr...

Conjuration secrète

par BÉCHIR BEN YAHMED

L’homme est dans sa 81e année et le pouvoir l’a quitté il y a un bon quart de siècle. C’est dire s’il est, pour les plus jeunes d’entre vous, un dinosaure.
Le livre que vient de publier ce dinosaure fait grand bruit à Paris, car il contient des révélations époustouflantes. C’est le troisième tome de ses Mémoires, publié par Compagnie 12 sous le titre Le Pouvoir et la vie : choisir

Valéry Giscard d’Estaing, c’est de lui qu’il s’agit, rappelle qu’il a accédé à la magistrature suprême en 1974, à la mort de Georges Pompidou, mais omet de préciser que c’est grâce à Jacques Chirac, qui, pour le faire élire, a trahi son camp (il l’en récompensera d’ailleurs en le nommant Premier ministre). Giscard raconte longuement, en revanche - faits et textes à l’appui -, la seconde trahison de Chirac, qui lui a fait perdre le pouvoir au profit de François Mitterrand.


À en croire l’auteur du Pouvoir et la vie, Jacques Chirac (qui s’était fait élire maire de Paris après avoir démissionné, dès 1976, de son poste de Premier ministre) n’a eu, à partir de 1977, qu’un objectif : chasser Giscard de l’Élysée pour prendre sa place. Et il n’a pas hésité à faire élire François Mitterrand dont il pensait qu’il ne durerait au pouvoir que quelques mois.

Parmi les révélations du Pouvoir et la vie, j’en ai retenu une, qui est le récit - détaillé et à ce jour inédit - d’une histoire dont les acteurs principaux sont V.G.E. lui-même, Ronald Reagan et Anouar el-Sadate, présidents respectivement, à l’époque, des États-Unis et de l’Égypte.

Tout d’abord l’histoire elle-même, telle que la raconte Giscard dans son livre :


« Le directeur du SDECE1, Alexandre de Marenches, vient me voir à l’Élysée. C’est un géant, qui porte moustache, et un bon vivant. Il a été nommé à ce poste par Georges Pompidou, qui avait confiance en sa loyauté, et je l’ai maintenu dans sa fonction pour le même motif. Il me dit disposer de contacts avec certains collaborateurs proches de Ronald Reagan, qui l’introduiront auprès du président.

Je lui donne mon accord pour qu’il fasse un rapide aller et retour aux États-Unis : il pourra peut-être m’apporter des informations utiles. Le voici à nouveau dans mon bureau, juste après la prise de fonctions de Reagan.

- J’ai été reçu par le président, me dit-il, gonflé d’une satisfaction qui amplifie son embonpoint naturel.

- Il m’a chargé d’un message pour vous : “Dites au président français que I need a victory2.”

- Que veut-il dire ? demandé-je, plutôt surpris.

- Il pense que les États-Unis ont été humiliés par l’affaire des otages de Téhéran, qu’ils doivent retrouver leur dignité, et que pour cela “I need a victory”.

- Il pense à une victoire militaire ?

- Oui, à un succès militaire, d’une manière ou d’une autre.

- Vous lui avez demandé où il pensait pouvoir obtenir ce succès ?

- Il a évoqué les Caraïbes ou le Moyen-Orient. Pour lui, ce n’est pas l’endroit qui compte, mais le rétablissement du prestige des États-Unis.

Je commence à m’interroger sur le lieu possible de cette victoire. Je n’en vois qu’un seul. Depuis plusieurs mois, le président Sadate m’entretient de ses rapports de voisinage avec la Libye. Il en considère les dirigeants comme dangereux, capables de monter des actions terroristes. Il souhaiterait qu’une opération commune permette de s’en débarrasser. Un argument plaide en son sens : est-il justifié de laisser une ressource aussi précieuse que le pétrole, dont les prix ne cessent de monter, entre les mains de dirigeants irresponsables, qui la gaspillent dans l’achat de matériels militaires sophistiqués au lieu de contribuer au développement du grand pays voisin qu’est l’Égypte ?

En réponse à Sadate, j’avais écarté l’hypothèse d’une action concertée limitée à l’Égypte et à la France. Avec le concours des États-Unis, ce pourrait devenir différent.

- Vous pourriez parler au président Reagan, indiquai-je à Alexandre de Marenches, du cas de la Libye. Vous jugerez de sa réaction. […]


J’envoie un message au président Sadate, comme nous en avons l’habitude. Celui-ci réagit avec enthousiasme. Mon état-major particulier m’informe au début du mois de mars que les études ont commencé. Les Égyptiens se chargeraient des opérations terrestres à la frontière. Les États-Unis assureraient la couverture aérienne et navale de l’opération. Et les forces d’intervention françaises - les plus performantes - agiraient à Tripoli et sur les lieux de pouvoir.

J’indique qu’aucune action ne pourra intervenir avant l’élection présidentielle française. Et à partir de la mi-avril, je perds le fil… »


Le 10 mai 1981, Giscard est battu par François Mitterrand. Le 21 mai, il fait sa passation, transmet au président élu les affaires secrètes qui sont à suivre. Il lui signale « une opération dont le président Sadate a pris l’initiative, qui vise à renverser le régime du président Kaddafi en Libye. Il s’est assuré le soutien du président Reagan et souhaiterait notre participation : on nous demande des opérations parachutées pour contrôler les aérodromes et les lieux de pouvoir… »

Mitterrand refuse de prendre le papier blanc où Giscard a résumé les affaires qu’il lui transmet.

- Ce n’est pas la peine, je m’en souviendrai, dit-il à son prédécesseur.

Il aura la sagesse « d’oublier ».


Maintenant, si vous le voulez bien, mon commentaire.

1. Le président Sadate était devenu en 1979 l’idole des Euro-Américains, des Israéliens et, plus généralement, des juifs parce qu’il avait fait son fameux voyage à Jérusalem, lâché en rase campagne le camp arabe - dont son pays était le chef de file - et conclu une paix séparée avec Israël.

On voit ici cette « grande figure de l’Histoire » participer à une ténébreuse conjuration avec deux chefs d’État (un Européen et un Américain) pour envahir et occuper un pays voisin - et frère -, membre de l’Organisation de l’unité africaine, de la Ligue arabe - et de l’ONU.

Pour avoir osé la même chose, mais en solitaire, Saddam Hussein sera considéré, en août 1990, comme un agresseur infréquentable. L’ONU condamnera son initiative, et une coalition mondiale - rassemblée, tenez-vous bien, par… les successeurs directs de Sadate, Reagan et Giscard - le chassera du Koweït en 1991.

Comment auraient réagi l’ONU et l’opinion mondiale si le trio Sadate-Giscard-Reagan avait pu mettre à exécution son opération ?

Notez, en tout cas, que, faute d’avoir pu envahir la Libye, Reagan s’est rabattu sur l’île de la Grenade en 1983… Et qu’il a bombardé Tripoli et Benghazi en 1986.

Démon de la vengeance, quand tu nous tiens.


2. George W. Bush a dit la même chose et fait pire que Reagan après l’humiliation que lui et son pays ont subie le 11 septembre 2001 : il nous faut, pour laver l’affront infligé par al-Qaïda, écraser quelqu’un !

Mais qui ? En fait, le premier qui a le malheur de tomber sous la main et permet de se défouler sur lui : les talibans en Afghanistan. Et, comme cela n’a pas suffi à étancher la soif de vengeance, on s’est rué ensuite sur l’Irak.

Guantánamo et ses excès ? Vengeance. Abou Ghraib et ses dérives ? Vengeance.


3. Si les Iraniens avaient, en 1979, occupé l’ambassade des États-Unis à Téhéran et pris leurs diplomates en otage, c’était pour laver un quart de siècle d’humiliations - bien réelles - infligées à ce grand peuple par la Grande-Bretagne et les États-Unis : l’ambassade américaine en avait été l’ordonnatrice avant d’en devenir le symbole abhorré. La CIA n’avait-elle pas, en 1953, chassé le Premier ministre Mohamed Mossadegh et fait revenir le shah de Rome, où il s’était enfui ? Les États-Unis l’ont imposé aux Iraniens pendant vingt-six longues années et, lorsqu’ils ont fini par le lâcher, en 1979, il a de nouveau pris la fuite…

Les puissants se donnent le droit de se venger des humiliations qu’il leur arrive (rarement) de subir. Mais ils ne comprennent pas que les humiliations répétées finissent par conduire les faibles aux dernières extrémités…


1. Service de documentation et de contre-espionnage

2. « J’ai besoin d’une victoire. »

Sources : Jeune Afrique

Posté par Adriana Evangelizt

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B
MAM, une femme de courage qui assurément n'a pas pour ambition de devenir le caniche présidentiel de BUSH junior !<br /> Au moins avec elle à l'Elysée on peut espérer que la FRANCE ne perdra ni son âme; ni son indépendance !<br /> Et puis le candidat caniche SARKo en prendra pour son grade et pourra continuer à ronger son os, MAM sait comment traiter les fortes têtes !<br /> Vive la FRANCE Libre et tous ceux qui défendent ses valeurs face au candidat des lobbies néocons, sionistes et autres atlantistes !
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