Le "nouveau Sarkozy" : un Reagan déguisé en Jaurès

Publié le par Adriana EVANGELIZT

Le « nouveau » Sarkozy : un Reagan déguisé en Jaurès

par Nicolas Reyel



Chacun peine à y croire, tant la surprise est de taille : le candidat Sarkozy cherche à se présenter depuis son investiture à la mi-janvier comme l’héritier de Jaurès et de Blum ! Dans son discours d’investiture Porte de Versailles, c’est ainsi qu’il apostrophe la gauche : « Ma France, c’est celle des travailleurs qui ont cru à la gauche de Jaurès et de Blum et qui ne se reconnaissent pas dans la gauche immobile qui ne respecte plus le travail. Je veux leur tendre la main. ». Hier encore à Saint-Quentin, il répète à deux reprises « Je me sens l’héritier de Jaurès. » et affirme très sérieusement : « Oui je me reconnais dans Jaurès et Blum », avant de s’en prendre à François Hollande : « Monsieur Hollande, que je n’ai pas souvent entendu citer Jaurès, a dit : « c’est une captation d’héritage ! » Je ne sais pas ce que feraient Jaurès ou Léon Blum de nos jours (…). Et Monsieur Hollande ne le sait pas non plus ! ».

Depuis plusieurs mois déjà, le prétendant à la candidature UMP multipliait les emprunts assumés et affichés à l’héritage de la gauche, en ne cessant de présenter les socialistes d’aujourd’hui comme des « nouveaux conservateurs », qui auraient trahi les idéaux de gauche par leur supposé immobilisme. A ces manœuvres s’ajoutait aussi un recours systématique à la stratégie de triangulation, destinée à prendre le contre-pied du positionnement attendu et couper l’herbe sous le pied de la gauche (par exemple avec la suppression de la double peine).

Aujourd’hui, le malaise est grand : plutôt habile initialement, cette stratégie sombre aujourd’hui dans la caricature. La manœuvre est si visible qu’elle en devient contre-productive et prend une tournure provocante pour les sympathisants de gauche, et quelque peu méprisante pour des citoyens à qui le candidat impose cette mystification. On croyait M. Sarkozy et ses stratèges mieux avisés, on les connaissait plus inspirés. Comment le candidat lui-même, dont le flair politique est indéniable, peut-il se fourvoyer de la sorte ?

Rappelons d’abord en quelques lignes à quel héritage N. Sarkozy fait allusion, quel socle idéologique il prétend respecter et prendre pour inspiration. Certes, comme il l’a dit à Saint Quentin, « nul ne sait ce que Jaurès ferait dans la France d’aujourd’hui » : en revanche, les écrits de Jaurès sur le socialisme sont eux bien connus. Les Français attendent sans doute avec impatience la lecture que fait N. Sarkozy des paroles de son nouveau mentor Jean Jaurès. Ils se demandent par exemple très certainement si M. Sarkozy reprendrait à son compte ces mots de Jaurès en 1901 : «  L’idée socialiste est claire et noble. Nous constatons que la forme actuelle de la propriété divise la société d’aujourd’hui en deux grandes classes, et que l’une de ces classes, celle des prolétaires, est obligée pour vivre, pour exercer en quelque mesure ses facultés, de payer une sorte de dîme à la classe capitaliste.  ». Est-ce que le candidat de l’UMP s’approprierait les propos suivants de son nouveau maître à penser : «  Toutes ces misères, toutes ces injustices et tous ces désordres viennent de ce qu’en fait une classe monopolise les moyens de production et de vie, et impose sa loi à une autre classe et à toute la société. Il faut donc briser cette suprématie d’une classe. Il faut affranchir la classe opprimée, et du même coup, la société tout entière . » ?

Après l’héritage, observons de plus près l’héritier. Et reconnaissons d’emblée que notre Jaurès des Hauts-de-Seine a un sens de la formule lapidaire bien plus abouti que son ancêtre de Carmaux. Jugeons-en plutôt :
  « J’ai contribué à décomplexer la droite française. » (Le Figaro Magazine, 2 septembre 2006)
  « Je suis pour la suppression des droits de succession » (Les Echos, 9 novembre 2006)
  «  Le malheur c’est que quand on parle de flexibilité on a l’impression d’être le nouvel affameur du peuple. » (Les Echos, 9 novembre 2006)
  « Dire que si on n’aime pas la France, il vaut mieux la quitter n’a rien non plus de choquant. » (Jeune Afrique, 5 novembre 2006)
  « Je n’arrive pas à comprendre pourquoi la droite ne cesse de s’excuser de ne pas être la gauche. » (Le Parisien, 28 mars 2006)

Sur les thématiques économiques sociales, les propos du faux Jaurès de Neuilly feraient se retourner le vrai Jaurès dans sa tombe :
  « Si la France a des problèmes de compétitivité, c’est parce qu’il y a des charges sociales et des impôts sur nos entreprises qui sont dus à un niveau effarant de dépenses publiques, on peut pas quand même dire que c’est parce qu’on est trop libéraux. » (Grand Jury RTL-Le Monde, 24 avril 2005)
  « Je ferai aussi des propositions pour réformer l’ISF dont certaines modalités constituent un obstacle à la compétitivité de notre pays. » (Libération, 19 juillet 2005)
  « Je propose qu’aucun Français ne paye en impôt plus de 50 % des revenus de son travail et que cet objectif ait une valeur constitutionnelle. » (Le Monde, 8 septembre 2005)
  « Or, dans ce que je crois qui sont mes valeurs, le sang qui coule dans mes veines, c’est le mérite, l’effort, la récompense, moi ça ne me choque pas un gros salaire. (Grand Jury RTL-Le Monde, 24 avril 2005)
  « Mais oui, parce que nous on a des syndicats trop politisés et donc engagés dans une action bien souvent partisane, ce qui fait que la majeure partie des salariés renonce à adhérer aux syndicats. » (LCI, 17 février 2005)
  « Je crois qu’il faut expliquer que la flexibilité peut être une chance. » (Europe 1, 11 avril 2006)

Chacun l’aura compris, la manipulation n’est pas sérieuse : les habits de Jean Jaurès et les paroles de Ronald Reagan ne font pas bon ménage. La manœuvre pourrait amuser si elle ne contribuait pas à ternir l’image que les Français se font de la politique. Confrontés à ce type de stratégie, comment les citoyens peuvent-ils accepter des sermons sur l’incivisme, leur manque de goût pour la chose publique, leur désintérêt de la politique ?

A l’évidence, le candidat Sarkozy veut masquer sa vraie nature, brouiller ses messages, tromper sur sa personnalité. Une fois investi, il prétend avoir changé, mais ce changement est sans fin. On assiste à un exercice de transformisme politique et idéologique des plus factices.

Ce spectacle de Saint-Quentin aurait pu être évité : assumé, il amène à d’autres interrogations, tout aussi inquiétantes. Quelles sont les raisons profondes de ce grand écart idéologique de l’un des candidats les plus ouvertement libéraux que la droite française ait jamais proposé aux Français ? Après avoir prôné la rupture et déclaré « J’ai contribué à décomplexer la droite française. », le candidat de l’UMP n’assume-t-il plus ses convictions de droite, son fond libéral ? Pourquoi cet empressement à changer : son « image d’avant », autrefois tellement vantée par les siens et mise en avant par lui-même, lui parait-elle inquiétante aujourd’hui ? Certaines phrases, dont l’écho résonne encore (« Dire que si on n’aime pas la France, il vaut mieux la quitter n’a rien non plus de choquant. », en novembre 2006), doivent-elles être effacées à jamais de la mémoire des Français ?

Mais dans l’immédiat, la question la plus pressante reste bien sûr la suivante : comment savoir quelle politique le candidat-ministre mettrait vraiment en œuvre s’il était élu, alors qu’il est se montre prêt à reprendre à son compte un étonnant méli-mélo idéologique, d’Arlette Laguiller à Jean-Marie Le Pen ?

L’homme est-il digne de la confiance des Français ? Après le discours de Saint-Quentin, le doute est permis.

Sources Betapolitique

Posté par Adriana Evangelizt

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